Les livres d’heures sont parmi les manuscrits du Moyen Âge et de la Renaissance les plus connus. Ils séduisent par leur beauté et leur caractère personnel. Livres de dévotion des laïcs et en particulier des femmes, ils reflètent une foi qui s’exerce au quotidien par la récitation des psaumes, des prières et des oraisons. Très répandus dans les pays d’Europe du Nord et étudiés de longue date, ils font l’objet d’un intérêt plus récent en Italie, en Provence, en Languedoc et dans la péninsule ibérique. Le choix de l’espace méditerranéen est original et difficile. Plus qu’ailleurs, beaucoup de manuscrits, modestes, usés ou passés de mode ont été détruits de manière volontaire ou par l’effet de catastrophes ou de guerres. Les exemplaires qui subsistent ont été dispersés au fil du temps dans un grand nombre de collections publiques ou privées. Les résultats de recherches novatrices que des historiens de l’art et des historiens italiens, espagnols, anglais, français leur ont consacrées, sont rassemblés dans ce recueil avec 80 illustrations souvent inédites. Elles ont conduit à une réévaluation de la place des livres d’heures dans les sociétés méridionales. Les archives révèlent une présence significative dans des régions où ils semblaient absents ou peu représentés. Leur diversité apparait mieux. À côté des manuscrits luxueux des princes commanditaires et des nobles, ont resurgi d’autres exemplaires de facture simple, dont l’existence était oubliée, ignorée. Les citadins, mêmes modestes, qui suivent l’enseignement des ordres mendiants, parviennent à se les procurer. Souvent seul livre qu’ils possèdent, les Heures sont une invitation à lire les textes et à méditer les images, ce qui suppose des compétences multiples, pas toujours attestées par ailleurs. Leur contenu révèle aussi de manière plus attendue une conscience de l’écoulement du temps, une volonté de s’assurer de l’avenir et la recherche d’un recours effectif. Les lecteurs construisent leurs livres d’Heures bien au delà de la première mise en forme avec une créativité spécifique, dont la variété des exemplaires conservés donne la mesure. Ils peuvent y apposer leur marque, embellir le décor, annoter les textes, ajouter des enseignes de pèlerinages et sur les pages laissées blanches à dessein, inscrire des prières. Ils les font entrer en résonnance avec d’autres instruments de dévotion.
En Europe méridionale, dans un espace ouvert, en fortes mutations, dans des sociétés citadines, jeunes, dynamiques, les Heures, faites pour prier par les images, les gestes et les textes, s’insèrent dans des pratiques religieuses foisonnantes, chaleureuses ou émouvantes. Elles répondent aux exigences nouvelles d’intériorisation de la religion et accompagnent une promotion de l’individu au sein d’une communauté spirituelle qu’il choisit. Venu le temps des malheurs, des difficultés économiques et sociales, de la peste noire, des guerres, la méditation apaisante des Heures les rend plus attachantes encore.
Christiane Raynaud est professeur de
l’Université d’Aix-Marseille en Histoire médiévale